En marge

En marge de cette édition 2023, le Musée FMR situé sur la place Georges-Python accueillera en son sein, le Kiwanis Fribourg, club service dont le but est le soutien à l’enfance et son bar. Nos amis kiwaniens vous proposeront de vous désaltérer et de vous sustenter dans une ambiance amicale. Les produits des ventes permettront de soutenir l’un ou l’autre des projets d’aide à l’enfance que le club reçoit régulièrement.

CONCOURS D’ÉCRITURE

1er prix Camille Moréno – Eclépens

« Deux francs s’il-vous plait »

Lorsque je l’aperçu au loin, je tombai instantanément sous son charme. Je n’avais pas prévu cette rencontre, et ne m’étais pas préparée à l’effet qu’il me ferait, déjà de loin. Mon premier réflexe fut de m’arrêter net, stoppée dans ma démarche. Mon regard enveloppa alors sa silhouette, observant chacun de ses contours et contemplant sa beauté certaine. Il était grand et incroyablement séduisant. Je fis inconsciemment un sourire béat, car sans que je ne comprenne trop son origine, quelque chose était apparu en moi. Ce n’était pourtant pas la première fois que je faisais cette sorte de rencontre, par hasard, mais cette découverte inattendue me sembla particulière, comme s’il était le bon, celui que j’attendais dans cette monotone journée. Cela faisait longtemps que je n’avais pas touché à un tel plaisir, ni ressenti ce sentiment d’envie, ce qui augmentait peut-être l’impression de rareté de la scène, de sa rareté à lui aussi. C’est pourquoi sans trop hésiter je pris mon courage à deux mains et m’approchai afin de l’aborder. Mais alors que quelques mètres seulement me séparaient de lui, je ne pu m’empêcher de ralentir le rythme, pour profiter de ce sentiment d’excitation qui m’avait gagnée. Car le plaisir était d’autant plus grand que la distance nous séparant était petite. Il dégageait un doux parfum, qui s’en émanait en parfaite harmonie. Son odeur n’était pas trop présente, mais remplissait tout de même mon cerveau d’ondes positives. Au fond de mon esprit, je savais pourtant qu’il n’était pas bon pour moi, qu’il n’était pas ce qu’il me fallait. Ma vie et mon corps ne pouvaient supporter d’autres comme lui, j’en avais déjà trop vu défiler à mes côtés. Mais devant une telle attraction je ne pouvais résister plus longtemps. Je parcouru les quelques mètres qui me séparaient alors de lui, sentant à chaque pas des papillons virevolter dans mon ventre. Arrivée à sa hauteur j’étais au comble du bonheur, tous mes doutes et mes envies de résister avaient disparus, il m’avait charmée et je m’étais facilement laissée avoir. Je devais maintenant en payer le prix.

« Deux francs s’il-vous plait » me dit la caissière avant de me tendre dans un sac en papier mon magnifique et séduisant croissant au beurre.

2e prix Madeleine Villars – Marly

Indochine

« Ecrire, c’est ce que je vois, au-delà de l’instant,
dans le grand désert sous les traits duquel j’aperçois
l’étendue de ma vie ».
Marguerite Duras

A Jean

Saïgon, ô ma sublime ! Irréelle cité dont je rêve depuis le creuset de l’enfance, où je voudrais tant
m’expatrier car, éternelle exilée, je m’y sens comme native. Oui, c’est bien là que je naquis, certes
dans une vie parallèle, mais mes réminiscences sont si vives et puissantes. A l’heure de la sieste
où la chaleur et la moiteur culminent, exhalent des senteurs de jasmin et de fauves, j’observe, à
l’abandon et lascive, en rêvassant, le mouvement perpétuel du ventilateur aux pals vrombissant,
et je devine par les odeurs et les bruits étroitement mêlés, la présence des hommes qui vaquent à
leurs tâches, en ton sein agité, Saïgon, ô ma sublime ! Je perçois au-delà des persiennes mi-closes
quelques traits de lumière voilée. Je gis là, étendue, oisive et dénudée, dans l’attente improbable
de l’Amant. Mon attente est teintée d’angoisse, de délices, de désir ardent, de frustrations et de
merveilles. Mais je crains la désillusion, puis la désolation qui s’ensuit. Il me parle d’un « nous »
et ce simple petit mot entrouvre des plaines infinies qui miroitent sous l’orient d’un astre vermeil,
ce « nous » qui s ‘éveille, dévoile un songe jalousement gardé, un songe d’absolu où l’horizon
n’existe plus. Ah ! Satanée réalité ! Nous ne fûmes jamais intimes et je t’ai même exécrée. Mais
ce voyage, trop et si souvent rêvé, si cher à l’exilé, coûte le prix du damné. L’Amant est arrivé.
Suave, sa voix susurre au creux de mon oreille affamée, les mots tant attendus. Son regard, tout
en me dévorant, me pare des joyaux les plus fins, ciselés avec art, et ses mains, au doigté velouté,
me devinent, font vibrer en moi la corde trop sensible et parfois si tendue qu’elle semble se briser.
Oui, car l’enjeu est bien là, il peut m’être fatal. Mais qu’importe ! Je choisis de l’ignorer : au Diable
mes peurs, au Diable mes déchirures, je sais qu’à chaque instant elles peuvent me rattraper, me
jeter au cachot où j’ai trop longtemps séjourné. Je choisis d’être libre, je prends le risque de
l’illusion au nez et à la barbe de la réalité ! Et l’Amant s’engouffre en moi et, avec lui, mes songes
les plus fous, les plus grisants, les plus grivois, et là, le Verbe n’est plus nécessité. Nos gestes sont
complices, nos caresses, telles deux mains qui prient, s’entrelacent et se rejoignent, comme si
nous n’étions plus qu’un : halètement d’une âme, amputée de son double, qui trouve enfin la
satiété. C’est la divine morsure, le sang qui perle sur nos coeurs comme suinte la sueur sur nos
corps alanguis. Alors éclate le moment de l’extase et Saïgon, soudain, nous embrasse. Nous
faisons partie de la multitude mais à cet instant-là, il n’y a plus que toi et moi. Tes baisers me
couvrent de rayons de lune, d’astres fragmentés. Ta peau, âcre et veloutée, se conjugue à la
mienne. Tels d’antiques amants qui toujours se sont connus, et : Nous. Nous nous devinons pardelà
l’obscurité de l’altérité, nos lèvres récitent de mémoire des litanies, des mélopées, se fondent
en un écho. Nous sommes des Quichotte blessés, des Cyrano perdus qui, après cet interminable
exil, se sont enfin trouvés, dans les décombres de tes rues, Saïgon, ô ma sublime !

3e prix Guihlem Demierre

Ma rencontre avec la nature, et la saveur de la vie

Après des heures d’attaques successives par plusieurs armadas de moustiques formés en
bataillons bien rangés et destinés à nous nuire, mon oncle et moi, bien loin de la volonté
d’assouvir leur noir dessein, sommes arrivés à destination. L’odeur de l’eau, si pure et si fraîche,
m’emplit les narines. Ce fut, avant même que je le sache, une eau lustrale pour mon âme. C’était
un lieu où rien ne pouvait nous nuire, un lieu où le mot « menace » n’existait point. Nous nous
sommes arrêtés ici, aux abords de ce lac d’un bleu majestueux, là où les rouges-queues aux
couleurs blafardes nous enveloppèrent de leur chant mélodieux. Ici où aucun prédateur aux
pulsions vampiriques ne nous poserait problème, le seul attaquant, s’il n’en fut un, serait le soleil
brûlant fougueusement nos peaux peu couvertes. Les quelques perles d’eau drainées de mes pores
coulaient abondamment sur mon front, mon nez et mes joues. Certaines gouttes parvenaient
jusqu’aux interstices de ma bouche, cette saveur salée, amère s’éparpillait sur le bout de ma
langue. Cependant, les nuages eux aussi arrivèrent à destination, leur couverture fit perdre au
soleil son ardeur de nous incendier et transforma ses rayons torrides en rayons de miel. Cette
saveur désormais douce au contact de ma peau et l’exhalation de l’eau si fraîche dans mes narines
me firent perdre tout contact avec la réalité, j’étais loin des tracas quotidiens, loin de l’ébauche
humaine. Ici était nulle part, et cette nature, que je venais de nouvellement connaître fut, pendant
quelques instants mon cocon, une enveloppe hors du temps et de l’espace. Ici, chaque sensation
me parut nouvelle, cette vie que je pensais connaître me parut étrangère mais pourtant si
familière. Au bout de quelques secondes, une éternité selon moi, je repris racine sur terre avec
comme lègue de cette rencontre avec la nature : un large sourire et une appréciation nouvelle du
monde pour mieux savourer ce qui m’entourait. Après cela, rien ne pouvait me laisser présager
les merveilleux souvenirs que j’allais créer durant la suite de cette belle journée d’été.

4e prix Côme Lescure – France

Un parfum d’enfance, un souvenir inoubliable

Lorsque je ferme les yeux, je me replonge dans le jardin de mon grand-père, là où les effluves
de mon enfance me ramènent inévitablement. Il y a cette odeur particulière, celle que l’on
pourrait qualifier de peu flatteuse, mais qui pourtant, évoque en moi un souvenir si précieux.
C’était un jour d’été, une brise légère soufflait dans les feuilles des arbres, et les parfums de la
nature se mêlaient à l’atmosphère. Mon grand-père, cet homme aux mains calleuses et au regard
bienveillant, m’apprenait à jardiner. Il me racontait des histoires, des souvenirs d’autrefois, des
anecdotes qui semblaient sortir tout droit d’un livre enchanté. Son rire contagieux, sa voix grave
et rassurante, tout en lui me fascinait. J’étais avide de l’écouter, d’apprendre de lui.
Alors que nous étions agenouillés, les mains dans la terre, une odeur spéciale s’éleva soudain,
celle que l’on associe généralement à une flatulence, un proute. Surpris, mon grand-père et moi
échangeâmes un regard complice. Loin de nous dégoûter, cette odeur étrange nous rappelait
combien la nature pouvait être surprenante. Mon grand-père se mit alors à me raconter
comment certaines plantes pouvaient dégager des effluves similaires, afin d’éloigner les
prédateurs ou d’attirer certains insectes.
Nous avions ri, complices, face à cette découverte inattendue. Nous avions ri, jusqu’à en avoir
mal au ventre, unissant nos rires aux effluves de cette nature si particulière. Cette odeur, si
souvent moquée, était devenue pour moi synonyme de complicité, de rires et de partage.
Les années ont passé et mon grand-père n’est plus là. Mais lorsque je me promène dans la
nature, lorsque le vent transporte cette odeur si spécifique, je me rappelle de ces instants
précieux partagés avec lui. Je me souviens de ses mains fortes et tendres, de son rire chaleureux
et de ces journées d’été passées à ses côtés. L’odeur du proute, devenue parfum d’enfance, est
désormais gravée dans mon coeur comme un souvenir inoubliable.
Ainsi, dans un monde où les odeurs sont souvent associées à des souvenirs heureux, celle du
proute vient me rappeler que les plus beaux moments ne sont pas toujours ceux que l’on attend.
C’est avec tendresse et nostalgie que je vous livre ce récit, car même les souvenirs les plus
inattendus peuvent devenir les plus précieux.

5e prix Erica Forney – Treyvaux

Une odeur mystérieuse…

J’avais 6 ans. Je dormais depuis quelques heures déjà quand je me suis réveillée… Dans la
cuisine on murmurait. Je ne comprenais pas ce qui se disait, mais je reconnaissais la langue
qu’utilisaient mes parents entre eux. Il y avait aussi une odeur surprenante, une fragrance
nouvelle qui chatouillait mes jeunes narines…
Au matin, je fis la connaissance de ma Babouchka qui était arrivée durant la nuit. Quand elle
m’a prise dans ses bras, l’odeur est revenue. C’était donc elle qui sentait comme ça, ou plutôt la
robe bleue qu’elle portait et toutes les autres contenues dans sa valise. On m’a dit qu’elle avait
fait un long voyage, qu’elle venait du pays où j’étais née et son fils, mon père, également. Sa
famille à elle venait d’encore plus loin, d’Arménie. Elle s’appelait Eudoxie. Elle était belle, elle
était drôle. Avec sa voix profonde et son accent qui roulait les R, elle nous racontait des
histoires d’ailleurs qui nous semblaient magiques, à nous ses petits-enfants. Je réclamais surtout
l’histoire de sa rencontre avec son mari, Lucien. Il n’avait pas un nom de la région d’Ukraine où
il vivait. Sa grand-mère, jeune veuve, était arrivée bien des années auparavant avec ses sept
enfants et avait rejoint la colonie suisse qui cultivait les vignes de Chabag. Dans ce village,
Eudoxie était institutrice. Un jour alors qu’elle se promenait, un jeune cavalier sortant de ses
vignes a failli la renverser… Et leur histoire d’amour a commencé… J’imaginais Lucien sur un
cheval blanc (c’était plus romantique qu’un cheval gris) partant à la conquête de la belle
Arménienne. Sa robe avait-elle déjà cette odeur bizarre ? Je n’ai pas osé demander. J’aimais
particulièrement cette histoire-là, même si Lucien est mort d’une pneumonie après une chasse
aux canards à l’âge de 40 ans…
Babouchka, nous faisait des gâteaux aux goûts et aux noms inconnus. Les „Rahalikis“ étaient
mes préférés. Aujoud’hui encore, quand je confectionne ces petits croissants recouverts de sucre
glace et fourrés à la confiture et aux amandes, je revois ses yeux noirs et j’entends son rire…
Avec mes parents elle parlait russe. J’aimais bien la musique de cette langue… Et l’odeur qu’elle
avait amenée ? Elle a disparu assez vite et je n’y pensais plus. C’est vrai je l’avais oubliée.
J’avais 14 ans quand ma mère m’a emmenée avec elle revoir sa famille en Roumanie. Elle
n’était jamais retournée dans son pays d’origine. Elle en était partie avec mon père pour le pays
de ses ancêtres à lui : la Suisse. Ils sont arrivés au camp de réfugiés avec pour seul bagage, une
valise en bois et moi qui avais 2 ans.
Nous voilà donc 12 ans plus tard dans un train, partant à la rencontre de l’autre branche de ma
famille… J’ai vu défiler les montagnes du Tyrol, puis la Puszta de Hongrie… Et puis à
l’approche de la frontière roumaine le train a été envahi par des militaires armés de fusils… Il y
en avait sur les toits des wagons, dans les couloirs, sur les quais… partout !
Et en même temps il y avait une odeur qui venait du dehors… une odeur ? Je l’ai reconnue tout
de suite. C’était celle qui avait accompagné l’arrivée de ma Babouchka et que j’avais oubliée au
cours des ans. Quel choc pour l’ado que j’étais !
„Maman, c’est quoi ce qu’on sent ?“ Ma mère n’avait pas de réponse à ma question trahissant
mon trouble et mon incompréhension.

Dans notre compartiment, il y avait une voyageuse qui parlait français, comme beaucoup de
roumaines âgées et élégantes à l’époque.
Elle m’a souri et a dit: „ Il y a longtemps que cette odeur plane sur toute la campagne roumaine.
Il s’agit d’une sorte de… désinfectant, un insecticide censé protéger les récoltes des maladies…
Cela s’appelle le DDT et l’odeur est tenace. “
Ce n’était donc pas ma Babouchka qui avait créé cette fragrance. C’était juste une substance
chimique, par surcroît toxique, qui s’était attachée à ses affaires au cours de son voyage.
Ô déception…
Mais heureusement que le souvenir de cette Eudoxie, venue de si loin dans ma vie, n’est pas
uniquement lié à une odeur, même restée longtemps mystérieuse !